L’ambiance était au rendez-vous. Cette espèce d’endroit exigu où toute la belle société vénitienne se retrouvait, où elle discutait bourse et placement financier entre deux verres de brandy ou de
vodka on the rock. Cette espèce de maison close où les femmes se dépravaient pour attirer l’attention d’un des fortunés de la cité. Cette espèce d’endroit où jamais il ne l’avait vu.
Elle était belle, c’était indégnable. Longiligne, à la moue mutine et pourtant si perçante, le regard acerbe et droit, le visage fin et caractériel. Jamais n’avait-il eu le plaisir de croiser pareil étalage de perfection aussi similaire à la sienne. Oh qu’il en avait vu des demoiselles de son rang avec des ambitions mirobolantes. Oh qu’il en avait gouté les plaisirs de la chair et les délices charnelles. Oh qu’aucune n’avait su combler toutes ses attentes. Etait-il trop exigeant ? Certainement. Mais son patronyme le sommait de choisir au delà de la perfection. Il nétait pas n’importe qui, après tout. Ses divaguations, quoi qu’un brin alcoolisées, l’avait obligé à quitter des yeux cette merveille accoudée au bar. Lorsqu’il tenta de la retrouver, elle s’était évaporée. Dissoute dans l’air comme son corps frêle pouvait le laisser paraitre. Il ne la cherchait du regard que quelques secondes ; un regard aguard et vide de sens. Il ne savait plus vraiment où il était ni avec qui il était. Mais au moins, il était vu. C’était ça le plus important.
Les apparences. Ses parents lui avaient bien expliqué, l’avaient bien martelé dans sa petite tête depuis sa plus tendre enfance. Il fallait qu'il soit omniprésent et pourtant présentables en toute circonstance. C’est alors qu’une voix sensuelle et mielleuse vint murmurer à son oreille. Il n’en connaissait pas ces intonnations, mais cela prévoyait une belle dicussion comme il les aimait.
"Allez-vous m’offrir un verre ou bien continuer à m’admirer de la tête au pied, monsieur Casaviecchi ?" il tourna nonchalamment la tête vers la source de ces mots. Il se retrouva rapidement nez à nez avec
la jeune femme. Elle avait réussi à se faufiler à travers les grilles du carré vip dans lequel il était, avait réussi à se frayer un chemin parmi les autres sans faire de vague, avait réussi à s’installer à quelques centimètres de lui sans qu’il s’en aperçoit. Une véritable tigresse. Discrete, se mouvant avec une volupté inhumaine et pourtant si incisive dans ses dires. Il ne pouvait qu’apprécier.
La soirée se déroula divinement bien. Etrangement, cette jeune femme était d’une intelligence rare qu’il n’avait retrouvé chez presque nulle autre de ses conquêtes. Elle était avisée, sensible, avait son opinion sur les problèmes de la vie actuelle et les énoncer avec un franc-parlé déconcertant pour un aussi petit brin de femme. Car oui, elle ne devait pas dépassé la demi vingtaine. Ils passèrent la soirée à parler des soucis du monde, tout en se lançant quelques remarques langoureuses et laissant entrevoir un semblant de flirt.
un jeu. voilà ce que c’était. Fabio avait enfin trouvé un adversaire à sa hauteur. Généralement, les demoiselles qu’il croisait buvaient ses paroles comme si elles étaient divines, comme s’il n’y avait pas discours plus éclairé au monde. Celle-ci, hé bien, elle réfutait presque tous ses dires. Cela l’énervait presque, il n’y était pas habitué. C’était un nouvel exercice et il se devait d’être à la hauteur des attentes qu’on pouvait avoir de lui. Elle le mettait en échec constamment, il devait se battre pour remonter la pente. C’était dégradant et terriblement excitant. D’ailleurs, elle refusa de venir prendre un dernier verre chez lui. La frustation était extrême, montant au plus profond de son être, faisant naître un désir fougueux qu’il n’avait jamais ressenti. Il se
devait de l’avoir. Elle se voulait inatteignable, elle allait voir ce qu’elle allait voir.
Ils se croisèrent maintes et maintes fois lors de ces soirées mondaines exécrables. Faisant bande à part, continuant à insinuer nombres de compliments, changeant de techniques pour percer l’autre à jour et le faire flancher. Aucun des deux ne sciaient, ce qui rendait la situation encore plus tendue et encore plus désirables. Et puis, vint
ce soir. où, par un heureux et malheureux hasard, la jeune femme se retrouva pousser vers Fabio par un geste malencontreux. Où ils se retrouvèrent à quelques millimètres l’un de l’autre. Où, il y eut ce baiser fiévreux, vitale. Où, il l’emmena chez lui. Où ils eurent des ébats endiablés. Où il apprit enfin son prénom et elle le sien.
Nata. douce et sensuelle Nata qui l’avait ravi durant toute une nuit. Et même plus. Insatiable, elle assouvissait tous les fantasmes que le jeune homme aurait jamais pu imaginer. Un ange perverti déchu des cieux. Voilà ce qu’elle était. Il n’aurait jamais pensé trouver pareil être en ce bas monde, comprenant à la perfection chacun de ses regards, chacun de ses sous-entendus. Une sorte d’âme sœur du sexe opposé. Ils décidèrent de garder une entente cordiale et de se voir de temps en temps, autant intimement que socialement.
Trop souvent, au gout des parents Casaviecchi qui, par leurs connaissances dans le monde, ont appris que leur fils chéri présentait à qui voulait bien la rencontrer cette
pauvresse sans nom ni fortune. Elle n’était rien, juste une passade, avant qu’il ne devienne adulte. Et le plus tot serait le mieux. Sans demander l’avis à leur fils, ils le fiancèrent. L’annonce fut passer dans toute la Vénétie et presque dans toute l’Italie ; si ce n’était pas en gros titre dans le New York Times le lendemain. Il était désormais de notoriété public que le jeune homme n’était plus un cœur à prendre. Tout le monde était au courant. Tout le monde,
sauf lui. Et, lorsque la nouvelle lui vint aux oreilles, ses parents le rappelèrent à l’ordre : il était un Casaviecchi. Il n’était pas n’importe qui et ne pouvait pas intégrer n’importe qui à son monde.
"Tu as fait ta bonne action de l’année en faisant entrer cette.. jeune femme dans notre monde. Tu peux arrêter maintenant.". Voilà ce que lui avait dit sa mère, avec tout l’amour et toute la bienveillance dont elle pouvait être capable; qui était assez limitée. Et, lâchement, Fabio se plia aux exigences de sa famille. Il donna rendez-vous à Nata dans un café et lui annonça la nouvelle. Il semblait anxieux, attendant sa réaction sulfureuse et fougueuse, comme elle avait l’habitude de faire. Au lieu de cela, elle haussa les épaules et termina son cappucino en prenant son temps. Elle ne leva pas les yeux vers lui, pas une seule fois.
"Ma foi, cela est bien dommage : tu étais un assez bon coup." C’est alors qu’elle se leva, mit son sac autour de son épaule et lui lança un sourire qui se voulait enjoué, mais qui reflétait la froideur et l’aigreur.
"Je me trouverais quelqu’un d’autres. Tu sais à quel point il est facile de vous avoir, vous les riches." Elle avait comprit la raison de cette « rupture » si cela en était vraiment une. Il ne releva pas, ayant une trop grande fierté pour dire quoi que ce soit, et la regarda partir. Elle marchait, s’éloignant de lui, avec un pas assuré et la tête droite. Mais, comme dans un songe, il aurait juré voir sa main droite s’approcher de son visage, comme pour essuyer des larmes naissantes aux coins de ses si beau yeux. Il se mordit la lèvre inférieure. Mais,
il avait fait ce qu’il devait faire.La vie reprit son cours normal. Fabio continuait à sortir, à boire, à se montrer en public avec cette femme qu’il ne connaissait pas et qu’il n’avait pas envie de connaitre. Il continuait à la délaisser en fin de soirée pour une autre qu'il ramenait dans son antre de mal dominant et avec qui il faisait toutes les choses interdites par les liens sacrés du mariage. Il se retrouvait à introduire cette inconnue à l'annulaire ornée de la bague de famille de Casaviecchi auprès de ses amis avec un entrain faussement joué. Il se retrouvait, nez à nez avec Nata au bras d’un de ses amis, à devoir lui présenter sa future femme qu'il n'aimait pas, qu'il n'estimait même pas. Une relation malsaine et fourbe s’était désormais installée entre les deux anciens amants. Lui ne supportait pas de la voir au bras d’un autre homme ; elle ne supportait pas ne pas être celle à son bras. Il le savait, il le
sentait. elle avait ses regards dédaigneux qu’elle lui réservait les matins où il n’avait pas acheter les croissants pour leur petit déjeuner. Ils se connaissaient par cœur, mais tout deux étaient bien trop fiers pour se l’admettre.
Foutu fierté. elle causerait leur perte, à coup sur. Ou bien serait-ce le Nutella ? car oui, aussi beau, aussi fort, aussi talentueux et aussi riche soit le jeune Casaviecchi, il n’était pas contre quelques cuillères de temps à autre. A dire vrai, il en avait besoin. Il ne pouvait vivre sans sa dose quotidienne, aussi infime soit elle. S’il ne pouvait pas avoir
Nata, il se devait d’avoir une petite compensation. C’était comme ça. Et même s’il aimait le Nutella, cela ne comblait pas..
non, il ne pouvait l’admettre..
Ça ne comblait pas
son manque d’elle. Jusqu'à quand arriveraient-ils à se leurrer ainsi? Combien de temps tiendrait-il avec cette femme à son bras qu'il ne veut pas? Et, pire encore, ne se ferait-il pas des films quant aux sentiments épprouvés par Nata à son égard? Ne jouait-elle pas la comédie, comme elle l'avait fait ce jour à ce café, lorsqu'il l'avait rejeté?
Trop de questions tuent la question.
Une cuillère de Nutella, s'il vous plait.