Plantée là, devant son miroir, Gilly Montgomery fixe attentivement son reflet. Ses cheveux sont en pagaille, tel un nid d'oiseaux, ses yeux sont rouges, ressortant deux fois plus vu son teint très pâle. D'ici, elle entend les pas fréquents de son petit ami qui se lève et marche en direction du salon: Gilly tend alors une jambe et ferme d'un coup sec la porte de la salle de bain pour être sûre qu'il ne viendrait pas fouiner. Le souffle court, la jeune femme se penche vers le lavabo et passe un grand coup d'eau sur son visage, ainsi que sur ses cheveux. La peur lui noue tellement le ventre qu'elle aurait très certainement encore eu la nausée si elle ne venait pas de rendre totalement son dîner de la veille à peine cinq minutes avant. Crispée, Gilly essaie vainement de se calmer, de réguler au moins un minimum sa respiration, de revenir un peu sur terre. Elle ne veut surtout pas que son copain la voit comme ça, sinon il la harcèlerait forcément pour savoir ce qu'il se passe et ne la lâcherait ensuite plus d'une semelle. Oui, en l'espace d'une petite année passée ensembles, elle a appris à le connaître. Elle sait à quel point il est possessif et qu'il a trop tendance à la surprotéger des fois. Alors, son regard à nouveau plongée dans son propre reflet, Gilly laisse échapper un soupire tremblant avant d'attraper son téléphone qu'elle avait posé sur le rebord du lavabo.

Appeler l'hôpital pour prendre rendez-vous fut étonnamment facile et, dix minutes plus tard elle ressortit de là, plus sereine. Cette après-midi même, elle fera des tests et espère de tout coeur que les résultats seront négatifs. Parce que non, Gilly ne peut vraiment pas se permettre d'être enceinte: Pas maintenant. Pas aussi jeune et surtout pas avec son petit ami, qu'elle connait encore finalement trop peu à son goût. Et si jamais elle était enceinte pour de vrai? Et s'il la laissait seule pour l'élever?! Loin de sa France natale depuis maintenant quatre ans, Gilly ne se sent pas du tout capable d'élever un enfant! Sans ses parents qui sont à mes milliers de kilomètres, sans le reste de sa famille...Ce serait mission impossible!
"Gilly, est-ce que ça va?" Elle sursauta et en lâcha presque son téléphone, encore fourré sans sa main. Retombant sur terre, la jolie brune secoue la tête et sourit à son petit ami qui vient de débarquer, de la rejoindre. Se forçant alors à paraître totalement normale, elle s'approche de lui et l'enlace simplement. "Ca va.", répond-t-elle en fermant les yeux.

Gilly rentre chez elle, l'air ailleurs et un sourire doux collé aux lèvres. Il est tard, la nuit est tombée depuis bien longtemps, mais elle s'en fiche. Elle est sortie, en avait désespérément besoin: Depuis que le médecin lui a annoncé qu'elle était effectivement enceinte, mais qu'elle avait encore un peu de temps pour se décider, Gilly essayait de prendre un peu de recul avec sa propre vie. De changer, d'aborder les choses différemment. "Ah, enfin te voilà!", tonne une voix qu'elle ne connait maintenant que trop bien. Et voilà. Sa bonne humeur venait de s'envoler d'un coup, pouf. Soufflant, elle se tourna vers son copain, qui la fixait d'un air sévère. "Quoi? Il n'est pas si tard que ça.", répondit-elle tranquillement en balançant ses clefs et sa veste ainsi que son sac, sur la table basse du salon. Il s'approcha si vite que Gilly eut à peine le temps de se redresser. L'air colérique de l'homme qui partageait sa vie lui glaça presque le sang, mais elle ne le montra en rien, ne laissa refléter aucune émotion de peur de tout aggraver. "Où est-ce que tu étais?" Gilly ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel tout en croisant les bras contre son ventre: "Je te l'ai dit tout à l'heure avant même de m'en aller! J'avais rendez-vous avec des amis." Ok, elle mentait. A moitié. Juste un tout petit peu. Et cette fois, son petit ami n'eut pas l'air de marcher. Son regard se durcit encore alors qu'il faisait un nouveau pas vers elle. Mais là, Gilly eut le temps de reculer, gardant une distance raisonnable de lui. "Tu te fiches de moi, Gilly? Tu crois que je ne sais pas qu'en fait tu vas voir ton Alex, la?!" Les sourcils de la jeune femme se froncèrent et elle soupira. Aïe. Depuis le départ, Alex est un sujet très, très épineux entre eux deux. En réalité, Gilly ne le connait pas depuis longtemps: Ils se sont rencontrés dans la salle d'attente, ce fameux jour où elle a dû se rendre à l'hôpital pour faire des tests. Dépassée par son stress et ressentant un besoin immédiat de parler, elle n'avait alors pas hésité à adresser la parole à ce garçon qui était assis près d'elle. Sa timidité évidente l'avait touchée en plein coeur et Gilly s'était rendue compte peu après qu'il lui plaisait. Qu'il lui plaisait beaucoup, même. Alors elle lui a simplement donné son numéro avant de s'en aller, espérant secrètement qu'il l'appelle: Chose qu'il a faite. Et jamais Gilly n'a cherché à cacher Alex à son petit ami, sachant que ça ne ferait que créer des problèmes s'il la soupçonnait de le tromper: ce qui n'est vraiment pas le cas, en fait. Mais le fait est qu'il n'a jamais accepté qu'un autre homme soit rentré dans la vie de Gilly et rien que le fait de savoir qu'elle tenait à lui semblait le faire bouillir de rage. Alors au bout d'un moment, Gilly a cessé de parler d'Alex, se contentant de dire qu'elle sortait avec des amis, comme ce soir: D'habitude, ça passait crème...Mais pas cette fois. "Si tu connais déjà la réponse à ta question, pourquoi tu me la pose? Sincèrement, tu ne peux pas juste me faire confiance?! Moi je te dis rien quand tu sort avec tes potes, dont la moitié sont des femmes, je te ferais remarquer! Alors ne commence pas à me sermonner avec Alex!" De la où elle se tenait, Gilly vit les poings de son copains se serrer, se crisper et elle perdit de sa ferveur. Quelque chose n'allait pas...ou plutôt, tout allait beaucoup trop loin, elle le sentait! "J'aimerais que tu arrêtes de voir ce mec, Gilly. Vraiment!" L'ordre évident suffit à énerver mademoiselle Montgomery qui secoua la tête, presque machinalement. "Écoutes, t'es peut-être mon petit ami, mais tu n'as aucun droit sur ma vie, compris?! Je suis libre et j'ai le droit de voir qui je veux. Alex est quelqu'un qui compte beaucoup pour moi et il est hors de question que je coupe les ponts avec lui juste parce que tu n'es qu'un foutu jaloux, possessif et égoïste!"

Gilly sentit la gifle avant même d'entendre le claquement, qu'elle perçut de très loin. Emportée par l'élan, elle tomba lourdement au sol, se rattrapant de justesse avec ses mains, mais sentit tout de même le choc se répercuter dans ses bras, ses épaules et son dos. Soudain, ce fut l'intense brûlure à la joue qu'elle sentit, mordant atrocement sa peau à vif. Surprise et hébétée, Gilly leva les yeux avant de reculer, se faisant simplement glisser, encore assise sur le sol. Son petit ami eut l'air tout aussi surpris qu'elle de son propre comportement et essaya de s'approcher, mais Gilly entendit sa propre voix lui hurler de ne pas venir plus près. Alors près de la porte d'entrée, elle s'aida de la poignée pour se redresser et sortit de l'appartement sans tourner le dos une seconde, de peur qu'il ne veuille la rattraper. Puis là, derrière la porte close, elle resta figée, une main sur sa joue aussi chaude que de braises...Et elle se mit à courir.