il y avait du bruit, ce qui était assez peu courant. une certaine effervescence frénétique que miella ne connaissait pas à son frère. que pouvait-il bien faire? la jeune femme, soucieuse et surtout très curieuse, poussa légèrement la porte de la chambre de son frère. elle s'attendait à le voir ranger ses affaires, changer les draps de son lit, trier ses magasines pornos; une activité assez courante pour un jeune homme de vingt-deux ans, somme toute. mais elle ne s'attendait vraiment pas à voir une valise à moitié remplie sur son lit et son frère en train de la remplir. son cœur loupa un battement. sa main se crispa sur la poignée de la porte.
non. pas lui. un seul suffisait. elle poussa alors entièrement la porte, et croisa les bras.
"qu'est ce que tu fabriques?". il leva les yeux vers elle. un regard glacial et détaché. elle fut prise d'un frisson qui lui hérissa l'échine.
"ça se voit bien non? je fais un ping-pong.".
que d'humour. la jeune femme plissa le nez. elle n'aimait pas tout ceci. elle n'osa pas bouger, pas pour l'instant.
"ah ah. très drôle. tu comptes aller où avec tout ça?" même si la réponse paraissait évidente, elle voulait l'entendre le dire. elle savait qu'il voulait partir, mais elle voulait qu'il l'assume.
"j'en sais rien, juste.. pas ici, ok?" non, c'était loin d'être "ok". mais, en toute bonne adolescente qui se respecte, elle se borna à hausser des épaules. il avait besoin de nouveautés, et miella le savait. mais ce n'était pas pour autant qu'elle l'acceptait. c'est alors qu'elle se décida à faire un pas vers son frère.
"tu comptais le dire à quelqu'un, quand même?" le jeune homme, sans sourciller, lui tendit une enveloppe blanche, pas même fermée.
"tiens, tu donneras ça à maman s'il te plait." totalement abasourdie, la jeune femme prit le papier machinalement. elle tentait de contrôler son caractère légèrement sanguin, mais c'était trop gros.
"tu te fiches de moi gabriele! tu ne peux pas partir en laissant juste une lettre! c’est quoi cette idée complètement débile? c’est parce que cesare l’a fait aussi que tu décides de partir c’est ça ?" le simple fait de prononcer
ce prénom ré-ouvrit la plaie béante qui s'était formée dans sa poitrine quelques mois plus tôt. elle avait déjà perdu cesare, elle ne pouvait pas décemment perdre son frère, son ancre, son point d'attache.
"si je peux faire ça. je pars pas à cause de cesare, je pars à cause de cette ville! j’ai besoin de voir d’autres paysages c’est tout, j’ai besoin de faire autre chose de ma vie que de gérer les problèmes de tout le monde dans cette baraque, ok ?" un petit air de dégoût dut se dessiner sur le visage de la jeune femme, car son frère semblait perturbé. mais, cela ne l'empêcha pas de boucler sa valise et de se précipiter en bas des marches. choquée, mais encore totalement maîtresse de ses actes, la jeune femme le suivit. elle était furieuse.
"désolée si on a été un poids pour toi gabriele! on est vraiment toutes désolées d’avoir gâché ta vie de grand macho!" elle voulait le blesser, le choquer, le brutaliser, pour qu'une dernière fois il se retourne vers elle, pour qu'elle puisse argumenter et pour qu'il reste. c'est tout ce qu'elle désirait. certes, elle y était allée un peu fort, mais c'était le seul moyen qu'elle avait trouvé sur le moment. et ça avait marché. il posa violemment son sac sur la parquet, et se retourna vers elle.
"j’ai jamais dis ça mais on s’en fout, pense ce que tu veux, j’ai pas envie de passer des heures à m’expliquer avec toi. tu es grande maintenant, je te passe le flambeau de la maison, tu finiras peut-être pas comprendre comme ça. donne la lettre à maman s’il te plait, c’est tout ce que je te demande." se rappelant la lettre qu'elle avait entre les doigts, miella la regarda machinalement, laissant le temps à son frère de déguerpir sans mot dire. la jeune femme était prête à lui courir après, mais il claqua la porte d'entrée derrière lui. les larmes coulèrent. instinctivement. la plaie béante se rouvra et la douleur contre laquelle elle avait tant lutté pendant les derniers mois resurgit, plus forte et foudroyante qu'avant. c'était tellement fort qu'elle s'écroula au sol. elle entendit la voiture de son frère démarrer, mettre la marche arrière, et puis s'envoler sur les routes.
il était parti. la vue de la jeune demoiselle resta trouble pendant quelques minutes, emplie de larmes chaudes et dégoulinantes. elle reprit ses esprits en s'asseyant sur la première marche de l'escalier. elle serra les poings, sentit du papier se froisser. elle avait encore une fois oublier la lettre. elle l'ouvrit avec frénésie, une sorte de besoin vitale. elle déplia le papier qui se trouvait à l'intérieur. seulement quelques mots y étaient écrits.
"je pars. je ne sais pas si je reviendrais. je vous aime. -g" la jeune femme se remit à pleurer. elle pensait
au moins y trouver une explication. c'est alors que la porte d'entrée s'ouvrit. dans un espoir débile et enfantin, la jeune fille releva les yeux.
"gabriele?!" évidemment que
non, ce n'était que sa mère. la jeune femme, rentrant du travail, complètement harassée, vit le visage de sa plus grande fille se déconfirent.
"mimi? que se passe-t-il?" la jeune fille fut reprise de sanglot et n'eut pas la force de dire quoi que ce soit. elle arriva à peine à tendre le bout de papier à sa mère, qui le prit et le parcourut des yeux.
il était donc parti.sa mère fut rapidement alitée, obligeant miella à arrêter ses études pour subvenir aux besoins de sa famille toute entière. elle trouva un petit job de fleuriste au coin de la rue, et réussit à gagner assez d'argent pour faire vivre sa famille sans trop taper dans l'héritage. mais son rêve d'avocate en jupe crayon et chemisier blanc s'était envolé depuis longtemps. elle avait des responsabilités, et cela n'était pas négociable. c'est un soir que, exténuée du travail, que la jeune femme se rendit au chevet de sa mère. elle entra dans l’hôpital et alla directement voir sa génitrice. elle connaissait le chemin, et les infirmières la connaissaient bien. la fille attentionnée qui venait tout les soirs à la même heure. après avoir passé un petit quart d'heure près de sa mère, à lui tenir la main en lui racontant sa journée aucunement passionnante, la jeune femme sortit se prendre un café. c'est là qu'elle l'aperçut. cela faisait presque deux ans qu'elle n'avait pas eu de nouvelles de lui. personne ne savait s'il était encore en vie. la jeune femme avait le cœur battant, émotion fraîchement retrouvée qui ne lui plaisait nullement. elle regarda dans sa direction. sa façon de marcher le trahissait. il n'avait pas changé. toujours aussi ténébreux, mystérieux, grand, musclé. il semblait perdu, s'avançant vers elle avec hésitation. il faisait bien, d'ailleurs.
"tiens, un revenant.." le ton acerbe et dédaigneux qu'elle avait employé sembla toucher son frère, qui releva les yeux vers elle. des yeux tristes et pleins de remords.
tant mieux, ça lui faisait les pieds. "comment elle va?" pas même une excuse, pas même un mot gentil. rien. mentalement, la jeune femme le pourrissait, lui et tout son être. mais, par respect pour ce qu'il avait représenté pour elle, elle ne fit qu'hausser les épaules. il est vrai que l'état de maman était quelque peu incertain. ce genre de maladie était autant fulgurante qu'imprévisible. c'est alors qu'il se décida à rentrer dans la chambre. il eut un léger blocage avant de passer le seuil. c'est l'effet que ça faisait, la
première fois. la jeune femme, doucement et sans faire de bruit, vint se poster au coté de son grand frère. elle regardait sa mère, amaigrie, souffrante, mourante. elle détestait son frère pour ne pas avoir été plus présent, ne serait-ce que pour
elle. leur propre mère.
"ça valait le coup au moins, j'espère..". que dire de plus pour exprimer son impuissance?
"oui, ça en valait le coup." miella eut un petit rictus amusé.
"tant mieux alors." que pouvait-elle dire de plus? il était content d'avoir fait toutes ses conneries, tant mieux pour lui. ils restèrent là, en silence, quelques temps, à contempler leur mère.
"je suis désolé." nous y voilà. des excuses. dûment méritées. miella releva doucement les yeux vers son frère. sans rien dire de plus, elle s'élança vers la sortie.
"ça n'a plus d'importance, maintenant." elle ferma la porte derrière elle. du travail, elle en avait. elle devait retourner à la boutique pour faire l'inventaire des fleurs, faire le compte de la recette du jour et arroser les plants de demain. en chemin, la jeune femme se surpris à éprouver de la haine. sentiment qu'elle n'avait pas eu depuis longtemps. et puis, une vague de tristesse; contrôlable. une deuxième; un peu moins aisée. elle entra rapidement dans la boutique avant que la troisième la submerge, la faisant pleurer toutes les larmes de son corps. elle s'écroula derrière la porte de la boutique. ainsi,
son frère était de retour. et quelques jours plus tard, leur mère décédait de sa maladie. c'était il y a quatre mois.