Quand le sage montre la lune, l'abruti regarde le doigt.
Son regard divaguait entre elle et moi. Moi, elle. Elle, moi. Ça devait faire dix bonnes minutes qu'on était assises, le silence commençant sérieusement à se faire pesant. Jaaziel semblait parfaitement calme à côté de moi, si on oubliait l'air inquiet qui colorait ses traits... tandis que de mon côté, la seule chose qui m'emmerdait vraiment était ce silence bien trop pesant et cette absence de réaction. J'aurais préféré qu'il crie, se lèvre de sa chaise ou se mette à danser la macarena sur son bureau plutôt que d'endurer ces longs regards qu'il posait régulièrement sur nous.
"Alors,", déclara-t-il alors, brisant - enfin - le silence de plomb. C'était franchement pas bon signe. Il ouvrit alors un dossier prenant tout son temps pour déchiffrer ce qui était inscrit dessus. De toute façon, on était dans la merde et personnellement, j'en avais parfaitement conscience.
"Violence au sein de l'établissement scolaire...", commença-t-il, me faisant légèrement grimacer.
Violence... c'était quand même un peu poussé. J'avais juste tiré les cheveux de Jaaziel, pas besoin dans faire tout un fromage. Mais bon, pour une fois, j'eus la brillante idée de fermer mon gros clapet.
"Dégradation des biens..."... Tout ça parce que j'avais enflammé une poubelle... Non franchement, c'était abusé !
"Et enfin, déclenchement abusif de l'alarme à incendie...". Je levais les yeux au ciel, pouffant légèrement de rire. J'avais conscience que ce n'était ni l'endroit, ni le moment pour se payer une bonne tranche de rire, mais franchement, la situation me paraissait tellement absurde que je ne pus m'en empêcher. Jaaziel me dévisagea alors, tout comme le directeur de l'université face à nous.
"Quelque chose à ajouter, mademoiselle Hawtorne ?". Ma jumelle me lançait des regards assassins, priant très certainement pour que je me contienne... mais je n'en avais rien à foutre. J'avais une bouche, une voix et des mots pour m'exprimer. Pas question que je reste muette plus longtemps !
"Ecoutez, tout ça va un peu trop loin, non ?". Il leva un sourcil, m'incitant à continuer.
"Jaaz et moi, on passe notre temps à nous chamailler et... l'incident qui est survenu tout à l'heure était, comme son nom l'indique, juste un incident. Ça ne se reproduira plus. Si vous voulez, j'peux payer pour la poubelle endommagée, mais arrêtons-en là !". Ça me paraissait logique. Et puis une poubelle ça coûte quoi ? Trente dollars ? Bref, le doyen ne semblait pas du tout du même avis que moi et alors qu'il replaçait ses lunettes sur l'arrête de son nez, son expression devînt encore plus morose.
"Vous vous êtes battues avec votre sœur, mademoiselle Hawtorne. Ce n'est pas une simple chamaillerie... Du moins, pas au sein de notre établissement. Nous avons des valeurs. Des valeurs auxquelles, toutes les de/", il n'eut pas le temps de finir que la porte de son bureau s'ouvrait, laissant percevoir la tête de la secrétaire.
"Excusez-moi de vous déranger, mais les parents des jeunes femmes sont là...".
Et merde, pensais-je. Ça ne pouvait pas être pire. Le doyen se leva alors de son fauteuil, contournant son bureau pour en sortir et fermer la porte derrière lui. Nous étions désormais plus que deux dans la pièce. Ma sœur et moi.
"On n'en serait pas là si t'avais pas balancé ta cigarette dans la poubelle !", me lança-t-elle alors, la mâchoire serrée. Elle commençait déjà à m'énerver et c'était plutôt fort si on considérait le fait qu'elle n'avait dit qu'une seule phrase.
"Ah, t'es pas muette, finalement !", lui balançais-je d'un ton acerbe. Elle leva les yeux au ciel et se braqua un peu plus.
"De toute façon, si j'ai jeté ma clope dans la poubelle, c'est parce qu'une tarée m'a balancé son livre à la gueule !". Ouais, Jaaziel m'avait lancé son livre, dans le but de me faire mal. Malheureusement pour elle, je l'avais esquivé de peu, lâchant par mégarde ma pauvre cigarette qui avait immédiatement enflammée la poubelle. La suite, vous l'avez surement deviné : on a paniqué et appuyé sur le bouton pour déclencher l’alarme à incendie... Au final, les pompiers sont venus pour éteindre... une petite braise et la totalité des élèves de l'université ont été évacués de l'établissement. En gros, ça a été un gros bordel.
Cinq minutes plus tard, le doyen était de retours dans la pièce, nous regardant d'un air sévère, avant de nous lancer cette phrase qui allait tout changer.
"Vous êtes virées.".
Idylle : ça commence comme idiot et ça finit comme imbécile.
"Putain...", râlais-je, enlevant un cailloux de ma chaussure. Voilà deux jours qu'ont avait débarqué à Burano et deux jours que je passais mon temps à me plaindre. Ça avait commencé lorsque mes parents nous avaient annoncé qu'ils nous coupaient les vivres, à Jaaz et moi. Puis, continué lorsqu'ils nous avaient foutu l'ultimatum de la mort en nous obligeant à passer quelques temps sur l'île de Burano où vivait notre vieille grand-mère. Ensuite, dans l'avion et puis, à atterrissage. J'étais contente de voir ma grand-mère et venir à Burano me rappelait un peu les vacances d'été qu'on passait ici lorsque nous étions petites, mais y vivre pendant de longs mois, non merci. J'aimais New York, j'aimais ma ville. Le fait que ce soit grand, qu'il y ait du monde. Là bas, j'avais mes amis, mes repères... Et à peine deux jours passés à Burano et j'avais l'impression d'être en prison. Une prison dénuée de barreau, mais avec de l'eau tout autour. C'était la merde. Mes parents croyaient franchement qu'en nous envoyant chez grand-mère, Jaaz et moi on allait devenir proches ? Non, c'était se foutre le doigt dans l’œil jusqu'au coude ! Jaaz était ma jumelle, je l'aimais, mais nous étions bien trop différentes pour nous entendre. Elle était torturée, toujours triste et coincée. Ça me soûlait parce que je ne comprenais pas d'où venait son mal être. J'avais cette constante impression que ma sœur aimait se faire plaindre et ça m'énervait. Donc, séjour chez mémé ou pas, c'est pas comme ça qu'on allait devenir les meilleures copines du monde.
Bref, ça faisait vingt minutes que je cherchais, tant bien que mal, un endroit où mon téléphone pouvait capter, mais j'crois que c'était peine perdue. Même mon Iphone était paumée dans un bled aussi perdu ! Du coup, j'me retrouvais perchée à une branche d'arbre, le bras en l'air pour tenter de récupérer une toute petite barre... enfin, jusqu'au moment où j'ai entendu un bruit étrange, sursauté et... que j'suis tombée comme une bouse de l'arbre. Mes yeux étaient fermés à cause de la force du choc et je ne les rouvris que lorsqu'un rire se fit entendre. Là, mon regard tombait sur un visage, penché au-dessus de moi et je fronçais immédiatement les sourcils.
"Ça va ?", me demanda-t-il hilare.
"J'viens de me casser le coccyx, donc non, ça va pas !". Il rigola un peu plus et lorsqu'il me tendit sa main, je l’attrapais pour qu'il m'aide à me relever.
"J'peux vérifier si tu veux, histoire de voir si c'est vraiment cassé !". Ouais et puis quoi encore ? Ce pervers voulait vraiment me tâter le cul ? Peut-être qu'il avait l'habitude de croiser des filles faciles sur sa route, mais je n'étais pas comme ça.
"Pourquoi, t'es docteur ?". Il s’esclaffa un peu plus et je dépoussiérais mon short.
"Non, mais ça peut être une bonne motivation pour le devenir.". Je me décidais alors à poser mon regard sur ce drôle de garçon et... on éclata d'un même rire. Il était plutôt grand... enfin, un peu plus que moi et son air rieur était contagieux.
"On s'connait, non ?", demandais-je alors, fixant intensément le garçon en face de moi. Ce regard clair, ces joues d'enfant... ce rire... Oui, je le connaissais. Mais impossible de savoir d'où.
"T'es Kae, c'est ça ? La petite-fille de Giulia ?". Comment savait-il ça ? Mon visage dû laisser percevoir toute ma perplexité puisqu'il reprit aussitôt.
"J'suis Nicola... le fils de la boulangère... On était amis quand on était enfants..."...
Nicola !!! Mais oui !!! Nicola !!! Ce petit garçon que je retrouvais tous les étés lorsque je venais visiter ma grand-mère ! Ce garçon avec qui j'avais fait tant de bêtises. Ce garçon qui piquait du pain dans la boutique de sa mère pour le partager avec moi derrière le magasin ! Ce gamin qui m'avait volé mon premier baiser...
"Oh bordel !!!", lançais-je alors, lui tombant immédiatement dans les bras... Finalement, ce séjour me réservait quelques surprises... et ça ne faisait que commencer.