« Je m'ennuie ! » La jeune fille se laissa tomber sur son moelleux lit, recouvert de douces peluches multicolores. « T'as qu'à câliner une de tes peluches, ça te fera passer le temps. » « Mmh. » Elle se mit à quatre pattes et se pencha de façon précaire, au dessus de l'épaule du garçon pour suivre ce qui se passait sur l'écran de sa console. Il fronça les sourcils comme agacé, mais ne détourna pas les yeux de son jeu. Elle se pencha encore un peu plus, gênée par les reflets des rayons solaires qui perçaient à travers les rideaux pâles. Un peu trop, ses bras flanchèrent, et elle tomba sur le dos de Harlem qui ploya sous son propre poids, alors que sa console tomba par terre. « NIA ! » Et elle éclate de rire alors qu'il la faisait rouler sur le sol, et se relevait avec sa mine d'enfant à qui on aurait volé sa sucette. Il alla récupérer la console où son personnage venait de se faire lamentablement tuer par un troll vert des forêts. Il grogna. « Tu sais combien d'heures j'ai mis pour arriver là, hein ? Et t'as tout gâché. » Il lui tourna le dos. « Harry... ? » « ... » « Tu me boudes ? » « ... » « Harryyyyy... » « ... » « Si tu veux, je te fais un bisou ! » « Hmm, d'accord. » Un sourire illumina le visage de l'adolescente qui se traîna sur les coudes jusqu'à son compagnon, comme un lombric. « Qu'est ce que tu fais ? T'as l'air ridicule. » Elle gonfla ses joues, et roula des yeux. Elle approcha ses lèvres de sa joue, et y déposa délicatement un baiser. Tout comme les princesses dans les films romantiques, qui se finissent toujours bien. « Les enfants ! Le goûter est prêt ! » Nia se retourna furtivement, et se mit sur ses pieds. Elle attrapa la main d'Harlem, et le tira sans le ménager. Maman avait promis des tartines de nutella après tout.
La journée avait été longue. Trop longue. Elle l'avait attendue là, à cet endroit précis où ils étaient censés se retrouver chaque matin, pour aller au lycée ensemble. Mais ce crétin n'était pas venu. Elle était presque arrivée en retard à cause de lui, d'ailleurs. Elle avait inondé la messagerie de son téléphone portable d'une centaine de messages, l'avait traqué dans chaque couloir du lycée. En vain. Et pour couronner le tout, elle s'était bouffée les ongles. Encore et encore. Tout le monde riait, souriait. Entre les mains, des cartes étaient échangées, des flirts au détour des toilettes. La mièvrerie collective avait atteint son pic. Et en anglais, elle l'avait aperçu. Assis sur un banc, dans la cour. Il restait quinze minutes de cours, et qu'est ce qu'elle l'avait haï. Oh oui. Elle s'était imaginée toutes les tortures qu'elle allait lui faire subir. La sonnerie retentit, et elle se jeta dans le couloir, comme une bête en cage. Elle tourna la tête à gauche, puis à droite, comme un prédateur cherchant sa proie, avant de le localiser, toujours aussi con sur son banc à la noix. « HARLEM. JE VAIS TE TUER ! » Et c'était un euphémisme. Elle hésitait entre lui tordre le cou une dizaine de fois, ou le balancer aux requins pour lui passer l'envie ne serait-ce que d'y penser une nouvelle fois. Elle avait crû mourir d'ennui, et lui, il avait disparu, comme ça, sans la prévenir. C'était à la limite de la trahison. « Comment t'as pu me laisser toute seule ?! T'es vraiment nul, Harry, vraiment nul ! Sérieux, c'est pas sympa, c'est même dégueulasse, c'est, c'est, c'est... C'est quoi ? » Demandait-elle en réalisant qu'il tenait un truc étrange dans ses mains. C'était une boîte carrée à la jolie couleur violette, au délicat ruban mauve, et à la fine écriture dorée. La colère de Nia venait de muer en violente curiosité. Harlem avait fermé les yeux, comme s'il était sur le point de... de... Elle ne savait pas. Mais ce n'était pas un comportement habituel. C'était étrange. « C'pour toi. » « Mais c'est quoi ? » « Des chocolats. Des chocolats de St Valentin. » « C'est la Saint Valentin ? » « Ouai. » « C'est un truc d'amoureux, ça. » Il haussa les épaules. « Ouai. Mais comme ça, j'aurai pas à t'repayer tes chaussures à talons, que tu as voulu que j'essaye absolument la dernière fois. »

Une journée ordinaire. Banale. Sans intérêt. Nia réparait une chaussure dans un coin de la chambre d'Harlem. Elle se débattait difficilement avec le scotch qu'elle embobinait autour de la chaussure. Elle se demandait si la quantité de scotch permettrait de réparer la chaussure, car c'était franchement loin d'être esthétique. « Nia. » « Hmm ? « Je t'aime. » « Hein ? Ah, oi aussi je t'aime beaucoup. Mais attends, là, je suis concentrée, mon doigt est collé au scotch... C'est chiant... » « Non, moi, je ne t'aime pas beaucoup. Je t'aime tout court. » Son pouce était toujours coincé. C'était Harlem, et elle était Nia. Elle l'aimait. Beaucoup, comme elle pouvait aimer quelqu'un avec qui elle avait l'impresion d'avoir tout fait, quelqu'un qu'elle connaissais depuis sa rentrée à l'école, quelqu'un qu'elle voyait tous les jours, et quelqu'un sur qui elle savait qu'elle pouvait compter. Elle était capable de tout faire pour lui si un jour il avait besoin d'elle, mais c'était une sorte de meilleur ami, presque comme un frère. « Qu'est ce que tu racontes encore... » Et un rire nerveux s'échappa de ses lèvres. « Ouai, je sais, ça fout un choc. » Il semblait sérieux, vraiment sérieux. « Arrête ça. C'est pas drôle, Harlem. » « J'plaisante pas. » « Arrête. » «Tu préfères que je te mente ? » « Arrête j'te dis ! C'pas amusant du tout ! Je rentre chez moi, pour la peine. Je reviendrai quand tu te seras calmé, avec tes histoires débiles. » Dans sa précipitation, elle claqua la porte, et s'enfuit. Le scotch était resté collé à son pouce.

Ils ne se parlaient plus. En réalité, pendant plusieurs mois, ils s'ignorèrent comme de parfaits inconnus. Elle l'avait croisé à une fête. Il tenait une fille par la taille. Mais elle n'avait pas osé aller l'aborder. Alors elle était restée planquée entre la plante, et le buffet, à les épier. A guetter le moment où il allait l'embrasser, ou un truc du genre. Mais rien du tout. « T'as l'air d'avoir un sacré grain. » Elle sursauta. Un mec. « Je sais, les gens disent souvent que je leur fais cet effet là, la première fois. » Il éclata de rire, et pencha la tête pour deviner qui elle était en train d'espionner aussi lamentablement. « Tu vérifies que ton frère ne ramène pas de nana à la maison, ce soir ? » « C'est pas mon frère. » « Ta sœur, peut-être ? Même si vous vous ressemblez pas du tout. Elle est petite et brune, alors que t'es grande et blonde, du coup, ça peut porter à confusion. » « C'est pas ma sœur. » Il fronça les sourcils. « Tu fais partie de la section scandale du journal de l'université ? » Elle gonfla les joues, et planta son regard dans celui de l'individu qui n'arrêtait pas de l'importuner, alors qu'elle était en mission commando très spéciale. « Qu'est ce que tu veux, à la fin ? Tu vas griller a couverture. » Il sourit, et glissa quelque chose entre les mains de la jeune fille. « C'est une fête, détends-toi un peu. T'as l'air d'une furie en chasse. Ouvre, respire-ça un coup, ça ira mieux. » Elle le dévisagea. Au creux de sa main se trouvait une sorte de capsule. Elle retira le capuchon, et l'approcha de son nez. Aussitôt, une douce odeur l’enivra. Cette odeur qui avait bercé notre enfance. Celle qui nous rappelait ce générique mythique. « Ça sent le nutella. » Et elle éclata de rire. « Est-ce que c'est une technique de drague ? Parce qu'elle est vraiment vraiment naze. Ma mère disait toujours que passé le troisième verre, un mec devient lourd. Mais toi, t'as dû le dépasser depuis longtemps. » Il écarquilla les yeux, et poussa Nia dehors, pendant qu'elle protestait. Elle était en talons hauts, et ce malotru avec ses grosses pattes la menaçait de sa casser la figure à chaque pas. « T'es pas au courant ? Ils ont changé la recette. Tout le monde y est accro. Je me fais un max de blé avec ce truc. » Elle referma le pot, et le lui colla entre les mains. Il pencha la tête, attrapa un stylo, et lui griffonna son numéro de téléphone sur le poignet. « Pourquoi tu fais ça ? Je t'appellerai pas. T'es encore plus barge que moi. »

Des factures à payer. Et encore d'autres factures. Quelle idée de s'installer dans son propre appart, en disant à papa et maman qu'elle arriverait à gérer ? Sans salaire, bien sûr qu'elle trimait. Et elle n'en voyait plus le bout. Pas question d'appeler ses parents à la rescousse. Il ne lui restait plus qu'une seule alternative. Elle chercha le numéro du type de la soirée qu'elle avait croisé. Elle le composa. A la quatrième sonnerie, elle entendit un souffle rauque. « Heu. Bonjour ? » Un silence passa, et elle se demanda si le type n'avait pas raccroché, ou s'il s'était endormi, tout simplement. « C'pour quoi ? » Sa voix trembla. « Il faut que tu m'apprennes à dealer. »